Notre territoire est un vivier de solutions technologiques, mais une prise de conscience apparaît nécessaire. « Il est indispensable de s’acculturer à cette transformation car l’IA a déjà intégré la vie de tout le monde. Les dérèglements climatiques vont entraîner des effets sur l’activité de toutes nos entreprises. Par notre créativité, notre ingéniosité, convertissons ce grand défi collectif en innovations et en solutions, sans aller chercher ailleurs ce que nous avons déjà ici ! » a déclaré Jean-Luc Chauvin, président de la CCIAMP.
Dès son mot d’accueil destiné aux chefs d’entreprises du pays d’Aix, Laurent Kihl, directeur de l’ENSOSP, pose l’enjeu de la soirée : « L’IA est un cheval de bataille pour anticiper les risques, mieux coordonner les actions et réagir aux événements et catastrophes ».
Jean-Luc Chauvin enfonce le clou, chiffres à la clé. « Le Pays d’Aix est très exposé à tous les risques, sécheresse, inondations, incendies, sismiques, à part le volcanique ! Environ 30 000 emplois seraient impactés par les seuls effets de la chaleur, soit 16% de l’emploi privé, que ce soit dans le tourisme, le BTP, l’industrie, les métiers de l’environnement, la sécurité avec la police ou les pompiers… L’IA est un outil indispensable d’anticipation stratégique pour mieux comprendre et maîtriser ces enjeux et aller plus vite ».
Dès 2021, la CCIAMP a créé à titre pionnier en France dans le réseau consulaire un « riality Lab », au Palais de la Bourse à Marseille. Le lieu offre aux entreprises la possibilité d’expérimenter une multitude d’usages de l’intelligence artificielle et d’explorer ceux qui pourraient « accélérer, connecter et transformer » leur fonctionnement et leur dynamique, tant en interne qu’avec leurs prospects, fournisseurs, clients et partenaires.
Pour le sous-préfet d’Aix-en-Provence, Bruno Cassette, l’IA provoque des bouleversements très supérieurs à ceux générés par l’essor du numérique, d’internet ou des téléphones mobiles. « Nous sommes des ignorants et nous n’osons pas nous le dire à nous-mêmes. C’est passer à côté de quelque chose de fondamental que de ne pas se donner les moyens de comprendre de quoi on parle. Tout le monde doit passer dans des ateliers pédagogiques pour mieux appréhender les décisions à prendre. Sur ce territoire, il existe de bonnes réponses ».
Les interventions de la soirée l’ont démontré. Hélène Corréa et Julien Perfettini (Météo France) ont tracé un tableau alarmiste des prévisions d’évolution des températures dans le monde, en France et dans notre région. « 2023 a été l’année la plus chaude et pour 2024, les nouvelles ne sont pas bonnes… A 2100, s’il faut s’adapter à une hausse des températures de 4 degrés en France, nous connaîtrons des canicules permanentes comme en 2003, il n’y aura plus de neige en montagne, le niveau de la mer montera en moyenne de 50 cm… » indique Hélène Corréa. Météo France qui travaille pour 3 000 entreprises et institutions a conçu des solutions technologiques pour, par exemple, cerner les conséquences du réchauffement climatique sur les îlots de chaleur en ville. « Une entreprise doit savoir si elle peut toujours être viable en 2030, 2050, 2100 face à ces prévisions » ajoute Julien Perfettini.
Plus positif, Jean-Marc Philip (Société du Canal du Provence) souligne que, grâce à la vision anticipatrice des personnalités régionales des années 50 qui ont fait des Alpes « le château d’eau de la Provence », « notre région est sans doute la mieux préparée à ces changements. Les technologies mises en place depuis des décennies sur le réseau de transport d’eau permettent d’atteindre un rendement supérieur à 95%. C’est un record national. L’IA permet d’avoir les modèles prédictifs climatiques les plus fins ».
Des industriels et des agriculteurs investissent pour devenir plus sobres sur leur consommation de la ressource. Jérôme Droguet (CHU d’Aix-en-Provence) soutient que dans un établissement de santé, tout arbitrage est délicat dans la recherche d’économies d’eau, compte tenu des besoins à satisfaire (hygiène, nettoyage, balnéothérapie, dialyse, activités médicales, repas…). La collecte de données permet d’établir un suivi scrupuleux pour détecter des surconsommations anormales et améliorer les pratiques.
La réutilisation des eaux usées ouvre un autre champ d’action pour moins prélever dans la Durance ou les nappes phréatiques. Pour atténuer les réticences, Emmanuel Berthod (BioPoolTech) relève que « nous consommons chez nous des fruits et légumes espagnols arrosés avec d’anciennes eaux usées ». Traquer les fuites sur des réseaux trop souvent vétustes n’est pas moins impératif. « Il faut connaître son patrimoine pour agir efficacement. Avec l’IA, nos robots autonomes et technologies, nous sommes une partie de la donnée à aller chercher pour les industriels et collectivités » assure, pour Acwa Robotics, Jean-François Guidernoni.
Face à la prévention et la protection contre les feux de forêt, Philippe Meresse (Entente Valabre) se montre rassurant. « Le Sud est le territoire le mieux défendu de France, la sécurité civile est née ici et l’incendie a été le premier risque traité de manière mutualisée ». A la tête d’Unitel à Marseille et de Thecamp à Aix, Kevin Polizzi martèle combien « il est impossible d’adresser ces défis en solitaire ». Il invite chaque dirigeant à regarder autour de lui les ressources technologiques disponibles afin de s’en emparer pour transformer son entreprise. « Ici, elles sont incroyables, ce territoire regorge de talents et l’IA est devenue beaucoup plus accessible » dit-il, en citant l’exemple du boîtier imaginé à Martigues par HDSN pour détecter les dysfonctionnements d’une armoire électrique très en amont des pannes et incidents potentiels. Pour en convaincre chaque entrepreneur, il les encourage à découvrir Thecamp, son Lab et ses 150 objets connectés. « C’est un véritable terrain d’expérimentation. Ceux qui n’intègreront pas cette transformation disparaîtront » promet-il.
Bertrand Weckel (Atrisk) partage cette position, au point d’avoir conçu Vigierisc, une solution organisationnelle de veille des signaux précurseurs de crise, actuellement appliquée à Monaco : « Face au risque, l’hypervigilance est un vrai sujet de business et d’engagement sociétal. La question de la prévisibilité touche toutes les entreprises ». Pour la bâtonnière du Barreau d’Aix-en-Provence, Monica Mahy-Ma-Somga, qui inventorie les précautions et répercussions juridiques à assimiler pour se prémunir d’un risque, « l’IA est un levier majeur pour anticiper mais l’outil ne doit pas nous dépasser. L’avocat joue un rôle crucial pour guider les entreprises dans ces eaux complexes ».
Quant à la philosophe Laurence Vanin, elle réclame d’élargir le regard au-delà des métropoles, toujours servies prioritairement par les avancées technologiques, afin que ces dernières rayonnent sur les territoires les plus délaissés « pour les penser comme des nouveaux espaces d’innovation et repenser les équilibres ». Elle y voit un potentiel « dessein collectif pour parvenir au bonheur ».
Un écho conclusif au propos liminaire de Jean-Luc Chauvin : « Cessons d’être en concurrence les uns avec les autres. Ces défis nous concernent tous pour des actions concertées et ambitieuses ! ».