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1er accélérateur des 146 000 entreprises de la Métropole

Pourquoi l'approche collaborative de Buyco pourrait « disrupter » le fret maritime

L’ubérisation est amorcée dans le fret routier. Elle ne va pas tarder à déferler dans le transport maritime de marchandises, impactant en premier lieu ceux qui l’organisent. Avec sa plateforme collaborative, la start-up marseillaise dispose peut-être de l’outil qui va leur permettre de rivaliser.
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    Mardi 23 mai 2017

     

    L'ambition est franche : devenir un leader 2.0 du freight forwarding (fret international). L'effet est pressenti : disrupter un secteur dit « opaque » qui fonctionne selon des codes anciens et est encore peu acculturé à la digitalisation. Elle ne fait pas mystère de son objectif à court terme : agréger, d’ici fin 2017, 250 transitaires sur sa plateforme collaborative de façon à consolider un consortium à la taille critique. Ni de sa méthode : décloisonner et simplifier des procédures entre des acteurs opérant dans un environnement concurrentiel « sauvage » et vitrifiés par la « peur du changement », alors que leurs métiers sont en proie à l’ubérisation. Ses outils : les technologies numériques assorties d’une petite révolution des mœurs : l’approche collaborative.

    Quant à son horizon à moyen terme : propulser l’entreprise dans le top 10 mondial d’ici trois ans. Elle représentera alors, par l’effet de masse, un volume de 200 millions de conteneurs transportés par an, ce qui lui permettra, dit-elle, de peser aussi lourd que les grands commissionnaires de transport international et logisticiens de ce monde : les Kuehne+Nagel, DHL et consorts, qui disposent tous d’un réseau international très développé, possèdent des entrepôts dans les ports du monde entier et sont capables de gérer toute la complexité inhérente à ce monde maritime.

     

    Arrogance

    Serait-ce de l’arrogance pour une start-up créée il y a (à peine) deux ans jour pour jour ? L’entreprise marseillaise BuyCo for Growth, armée de son approche collaborative complètement innovante, n’émerge pas sans arguments dans cette industrie colossale que représente le fret maritime (300 Md$), sans équivalent dans sa complexité.

    Carl Lauron, son fondateur, qui a passé 7 ans au sein du 3e groupe de transport maritime mondial CMA CGM en tant que patron de l’activité transit puis vice-président de l’innovation, en connaît donc les interstices. En quelques mois d’existence, la TPE (12 personnes) est parvenue du reste à intéresser à son actionnariat (30 % du capital à des business angels) l’ancien CEO de DHL Forwarding, un administrateur d’Amadeus ou encore la présidente d’Aviva Investors France (105 milliards d'euros sous gestion à fin 2015).

     

    30 % de croissance par mois

    Après à peine plus d’un an d’exercice (premier exercice clos en décembre), sachant que sa commercialisation a vraiment démarré il y a six mois après avoir avalé un temps de développement, elle fédère déjà sur sa plate-forme collaborative plus d’une cinquantaine de commissionnaires/transitaires (ceux qui organisent le transport), issus de 35 pays. Récemment, objet d’un communiqué de presse, elle a annoncé qu’elle l’ouvrait aux importateurs et exportateurs, dont l’intérêt sera sans doute aiguisé par l’accès à plus de transparence sur les prix.

    « Nous avons 30 % de croissance chaque mois et nous venons de fêter notre millier de conteneurs sur la plateforme », contourne la question du chiffre d’affaire l’entrepreneur.

    Inéluctablement, la digitalisation des flux d’information va, dans un avenir très proche, révolutionner les méthodes de réservation du fret et d'exploitation des navires. « Et ceux qui refusent de considérer ce qui est en train de se passer ne seront plus là demain pour en parler, assène le dirigeant. Le transitaire va être bousculé car son métier consiste à recevoir et transmettre une information. Or, aujourd’hui, l’accès à l’information est de plus en plus trivial. Baser son existence sur le culte de l’opacité est une vision hyper court-termiste ».

     

    Alibaba et Amazon ont ouvert le bal

    Particularité du fret maritime : sa complexité, qui se traduit par un système d’intermédiation important. L’acheminement d’une marchandise par voie maritime requiert une trentaine d’étapes différentes, depuis l’entrepôt de l’entreprise qui souhaite exporter jusqu’à son destinataire. D’où le recours à des transitaires et commissionnaires, aux nombreuses compétences nécessaires (juridiques, fiscales et logistiques...) pour assurer de bout en bout.

    Or, dès lors qu’il y a intermédiation, il y a disruption, avertissent régulièrement les observateurs des phénomènes liés à la transformation numérique en cours. Et les trublions pour remettre en cause la primauté du commissionnaire ne manquent pas. Alibaba et Amazon ont en effet ouvert le bal en développant leurs propres activités de transitaire et en achetant en direct les espaces de navires (cf. plus bas).

    Pour autant, ceux qui connaissent la mécanique d’une supply chain dans le maritime se demandent encore pourquoi les systèmes, qui gèrent autant d’informations disparates, peuvent encore être très manuels.

     

     

    "Un transport standard entre Fos et Shanghai, par exemple, va impliquer une dizaine de sociétés entre le chargeur, l’importateur, le transitaire, le transporteur, les douanes, … Comme chaque maillon de la chaîne a son propre système d’informations en silo et la coordination entre tous se fait encore par tel, mail ou fax. Le dossier de transport le plus basique peut générer jusqu’à 200 échanges entre les personnes concernées et/ou 20 à 50 appels », explique Carl Lauron. « Le transport maritime est un secteur où le niveau de planification est tellement compliqué qu’il a résisté à 30 ans de recherche académique. D’autant que ce n’est pas comme l’aérien, vous n’êtes pas dans le point à point ».

     

    L’union de masse des plus petits permet la puissance des grands

    Dans ce contexte, l’offre de BuyCo, toute digitalisée qu’elle soit, vient à point nommé et exploite un principe, pour le coup ancien et universel, selon lequel « en s’associant, on peut lutter contre la suprématie des mastodontes ».

     

    "Le marché mondial du freight forwarding, estimé à 300 Md€, est trusté par une dizaine de gros acteurs. À côté, on a entre 300 et 400 000 transitaires. Nous visons les acteurs de taille moyenne, significatifs dans leur pays, sans réseau international, mais avec une envie de croissance. C’est une des beautés de notre offre : en faisant collaborer ces experts de chaque pays sur notre plateforme, on est en mesure d’assurer la même prestation que les plus grands, voire même avec un niveau de services supérieur, car si ces transitaires survivent encore aujourd’hui, c’est bien grâce à la qualité de leurs prestations ».

     

    « Inviter quelqu’un en mode Facebook sur un dossier de transport »

    Concrètement, l’outil collaboratif de BuyCo, rendu possible par la sophistication et maturité des technologies (« inviter quelqu’un en mode Facebook sur un dossier de transport était inconcevable il y a encore quelques années »), permet à chaque maillon de la chaîne logistique de renseigner l’information dont il est responsable et de la partager en temps réel avec l’ensemble de la chaîne.

    Avec son approche collaborative, l’entreprise veut certes rendre plus forts les transitaires en mettant à leur disposition des outils intelligents de productivité et d’efficacité (CRM, planning des lignes maritimes, réservation auprès de affréteurs par EDI, gestion documentaire, tracking des conteneurs…) mais aussi de permettre aux entreprises expéditrices de gagner en transparence sur la politique (et marges) des prix pratiqués.

    « Selon nos estimations, on peut ainsi gagner entre 2 et 5 % sur les coûts opérationnels de transport, ne serait-ce parce que la plateforme permet d’interagir : partage des meilleurs prix, levier de négociation à l’achat auprès des affréteurs… »

    Pour se rémunérer, la TPE (12 personnes), qui a déjà procédé à deux levées de fonds totalisant environ 1 M€, se limite à trois modes de facturation : un coût de mise en place auquel s’ajoute un pass mensuel par bureau. Elle ne se rémunèrera sur l’opération de transport en tant que tel (un pourcentage sur le conteneur) que si la transaction s’est opérée entre plusieurs acteurs, sa valeur ajoutée reposant sur sa capacité à faire collaborer et faire en sorte qu’il y ait plus de business entre eux.  

     

    Prochaine étape, l’aérien ?

     

     

    Si BuyCo a démarré par le shipping – domaine où il y a un réel retard d’innovation pour optimiser le processus de transaction entre les entreprises expéditrices et les compagnies maritimes et dans le suivi des marchandises – elle n’exclut pas de s’intéresser aux problématiques du transport aérien et terrestre « où les dynamiques sont les mêmes ».

    Et pour l’heure, elle estime être la seule solution globale dans le freight forwarding. Avec peut-être Flexport, concède-t-elle, dont la technologie et l’approche sont proches en effet. À la différence près que la société californienne, du reste transitaire elle-même, envisage son développement géographique de façon organique en dupliquant sa plateforme dans le monde avec ses propres équipes. « C’est très consommateur de cash et cela prend un temps infini », commente Carl Lauron.

    Il ne mentionnera pas l’autre start-up américaine Haven qui propose de mettre en relation directement en ligne via sa plateforme les chargeurs et les transporteurs. « En France, on a bien cherché mais on n’a pas trouvé. Et gardons raison, dans notre business plan le plus fou, on ne prendrait que quelques pourcents du marché mondial ».

     

    Avec Traxens et Keeex ?

    La société, qui a obtenu le statut de jeune entreprise innovante, est en train d'établir une collaboration avec Polytechnique et l’École Centrale sur des programmes de recherche en vue d’une exploitation du big data dans le shipping.

    Quant à la fertilisation possible avec d'autres « pépites » locales du secteur, elle cite volontiers Traxens, cette société créée en 2012 qui équipe les conteneurs maritimes de puces électroniques : « On a clairement des choses à s’apporter mutuellement. Dans les mois qui viennent on va étudier cela ». BuyCo collabore avec une autre start-up marseillaise KeeeX, spécialiste de la blockchain. « Ils ont des processus sécurisés hyper innovants qui vont être précieux au shipping », défend Carl Lauron, visiblement partisan de l’architecture hyper ouverte sur laquelle viendraient se greffer différentes expertises de façon à « créer un écosystème capable de rendre un service à très forte valeur ajoutée pour des clients finaux ».  

     

    Adeline Descamps

    * Technologie de stockage et de transmission d'informations, base de données en somme sauf qu’elle est transparente (chacun peut consulter l'ensemble des échanges, présents et passés), fondée sur des échanges de pair-à-pair (P2P, sans organe de contrôle ni tiers de confiance) et surtout infalsifiable et sécurisée.

     

     

    L’ambition de BuyCo en quelques données

    Le marché du transit international (freight forwarding) est un marché estimé à quelque 300 milliards de dollars. Le TOP 10 mondial représente environ 40 % de ce marché. Le fret maritime, qui intéresse BuyCo dans sa première phase de développement, représente 55 Md$.
 Le secteur est constitué de 400 000 petits et moyens transitaires. L'entreprise marseillaise vise ceux qui traitent en moyenne chacun quelque 10 000 conteneurs par an.

    L’ambition de BuyCo est de créer un consortium d’environ 250 transitaires internationaux, afin de devenir un des 10 leaders mondiaux du transit international avec un chiffre d’affaires de 5 M€ d’ici 4 à 5 ans

    Chaque année, 9 milliards de tonnes de marchandises (soit 80 à 90 % des marchandises mondiales) sont transportées par voie maritime, faisant du fret maritime le premier mode de transport de marchandises au monde. Aujourd’hui, environ 50 000 navires sillonnent les mers : vraquiers, pétroliers et porte-conteneurs confondus.

     

     

     

    La digitalisation, trouble-fête du shipping ?

     

    Alibaba et Amazon ont ouvert le bal en développant leurs propres activités de transitaire en achetant en direct les espaces de navires et en investissant même dans des flottes de camions, en attendant sans doute de pouvoir le faire avec des navires en propre. L’entreprise de Jeff Bezos aurait également, selon la presse américaine, entamé des discussions avec Boeing pour acheter 20 B767.

    En France, les plates-formes numériques, portées par de jeunes pousses, émergent comme les champignons après la pluie : Chronotruck (« trouvez un camion en temps réel et découvrez votre tarif en 3 clics ! » qui vient de lever 3,5 M€ et revendique 1 400 transporteurs inscrits sur sa plateforme et près de 500 clients), Convargo (« de la palette au chargement complet, expédiez votre marchandise simplement et au meilleur prix » qui en quelques mois a déjà convaincu un millier d'entreprises de transport et 1 500 sociétés expéditrices et a levé 2 M€ en juin 2016 auprès de business angels « people » comme Xavier Niel, Jacques-Antoine Granjon, Olivier Mathiot, Pierre Kosciusco-Morizet...), Click & Truck la première place de marché B2B qui matche en temps réel les besoins des expéditeurs et les capacités disponibles des transporteurs ») ou encore Fretlink, autre jeune pousse française de quelques mois spécialisée dans l'optimisation des flux de marchandises qui transitent sur la route et qui vient de boucler sa première levée de fonds de 6 M€.

    Tous font le constat de l’opacité du transport de marchandises, à savoir « du peu de visibilité sur les prix, l’identité et la fiabilité des prestataires et sur le suivi des opérations », explique Paul Guillemin, le fondateur de Fretlink qui revendique 2 500 sociétés de transport référencées.

    Remplir les camions qui roulent à vide, un marché sur lequel lorgne aussi Uber. Après avoir racheté le pionnier du poids-lourd autonome Otto pour 680 M$, Uber a lancé l'application Uber Freight aux États-Unis, une plate-forme qui met en relation des professionnels ayant besoin d'expédier des marchandises et des chauffeurs routiers.

    Les compagnies maritimes s'organisent. En mars dernier, Maersk Line a noué une alliance avec IBM qui vise à utiliser la blockchain pour gérer le fret maritime international entre les différents acteurs du réseau à l’échelle internationale tout comme CMA CGM dans l’internet physique via des conteneurs connectés sur la base de la technologie de la Marseillaise Traxens.

    Autre signal, pour sensibiliser ses membres à la digitalisation des métiers de l’overseas, la Fédération des organisateurs de transport de France y a consacré la première réunion de sa nouvelle commission maritime le 11 avril à Paris.

    Le monde maritime à l’heure du smart – autrement dit, quels changements la digitalisation et l’automatisation vont-ils induire pour la gestion des navires, des terminaux, des systèmes portuaires et des chaînes logistiques -, sera la thématique phare les 14 et 15 juin 2017 au Palais de la Bourse à Marseille à l’occasion des 50 ans de l’Institut méditerranéen des transports maritimes (IMTM), en partenariat avec l’ISEMAR.

     

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