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Ce projet « un peu fou » de réindustrialisation de la réparation navale à Marseille

Le retour à la vie du plus grand bassin de réparation navale en Méditerranée, restauré après près de deux décennies de fermeture, va-t-il permettre au port de Marseille de redevenir aux yeux du monde maritime un acteur important dans cette filière historique ? Stratégie à réarmer ...
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Lundi 4 décembre 2017

 

 

Parfois, le coup d’œil vers l’histoire, le recul vers « ce pays éloigné » (selon Racine), donne des perspectives à l’époque en train de se vivre.

 

« Aujourd’hui, Marseille redevient un acteur important dans l’industrie de réparation des navires aux yeux de tout le monde maritime », dira solennellement le président San Giorgio del Porto Ferdinando Garrè, le « petit génois, fier d’être un acteur clef de la relance de l’industrie de réparation de navires à Marseille ».

Certains auront sans doute trouvé certains passages très solennels, d’autres, des instants trop emphatiques. La seule présence de la presse n’est certes pas un indicateur pertinent de l’importance d’un événement. Mais en l’occurrence, les médias « mainstream » (parisiens) ne s’y sont pas trompés. La réparation navale méritait bien ces quelques crépitements de flash.

Car c’est un peu la grande et la petite Histoire qui se sont croisées sur les quais du port de Marseille ce 4 décembre. Avec épinglé en écharpe tricolore, l’espoir de la renaissance d’une activité industrielle passée et le retour à la vie d’un bassin de réparation en cale sèche qui aura connu autant d’années d’activité que d’inactivité, entre sa mise en service en 1976 et le dernier bateau reçu dans sa cale en 2000. Les événements géopolitiques et la crise politique ont contrarié le destin de cette désormais célèbre Forme 10, dont les caractéristiques techniques (465 m de large x 85 m de large) en font un outil unique en Europe, le « premier de Méditerranée et le troisième au monde ».

 

Visionnaire

Jacques Hardelay, président des Chantiers navals de Marseille (CNM) sera le premier à convoquer l’histoire, d’une part, pour restituer la paternité à « celui qui a imaginé cette cale ». Aperçu dans la salle, un représentant de la 6e génération Terrin aura certainement apprécié.

D’autre part, pour saluer « les anciens des Chantiers, qui, sous l’impulsion de la CGT, se sont battus pour éviter sa fermeture (la CGT du Port de Marseille avait en effet défendu le maintien d'une activité de réparation navale sur les bassins Est tandis qu’était évoquée la possibilité d'y ériger des hangars pour les yachts, ndlr) et aussi, tous les salariés de CMN qui se défoncent quotidiennement pour livrer les navires à l’heure et qui ont travaillé pour que cette cale soit opérationnelle ce jour ». Présents dans la salle avec leur tenue de travail rouge et noir distinctive, les ouvriers auront probablement goûté le moment.

Il n’est pas vain en effet de rappeler ce que le port phocéen doit à la famille Terrin, surtout Pierre, qui fut aux manettes d’un groupe marseillais qui aura profondément marqué l’histoire locale de la réparation navale. Quand le groupe a été liquidé le 2 mai 1978, le leader français de la réparation navale comptait alors 13 filiales, employait plus de 5 000 personnes et était parmi les 50 premiers exportateurs mondiaux.

Sans les Terrin, il n’y aurait sans doute ni la forme 10, pas davantage les deux autres bassins, les numéros 8 et 9*. Pierre Terrin est l’homme qui a saisi avant l’heure les mutations du monde, et notamment l’évolution vers le gigantisme des pétroliers, qui a compris qu’il fallait investir dans des formes adaptées et l’importance stratégique de Marseille dans le bassin méditerranéen, qu’il rêvait d’ailleurs déjà d’insérer dans l’axe Rhin-Rhône pour accrocher le marché rhénan (ce dont on parle toujours aujourd'hui). C’est lui aussi qui a soutenu devant le gouvernement de l'époque le projet d’extension du port de Marseille à Fos pour y implanter la sidérurgie qui devait pourtant échoir à Dunkerque.

 

Une intuition juste ?

Depuis 2010, l’entreprise créée par la société génoise San Giorgio del Porto - et désormais filiale du groupe Genova Industrie Navali (qui regroupe San Giorgio del Porto, T. Mariotti et Mariotti Yachts) et de Costa Croisières -, aura créé 70 emplois. « Nous sommes 125 aujourd’hui, je sais, la progression est lente, mais on se démène pour attirer des clients et remplir les 800 jours de disponibilité de nos cales », se défend Jacques Hardelay.

La comptabilité du dirigeant, passé par les plus grands du secteur Alstom Transport, Aker Yards, STX…, ne concerne évidemment pas encore la forme 10, qui n’est opérationnelle que depuis fin octobre**, mais est liée aux « petites sœurs », les bassins 8 et 9* pour lesquels il a été retenu en 2010 par l'administration portuaire, avant d’être à nouveau sélectionné en 2012 pour la forme 10 à la suite d'un appel d'offres.

Il faudra encore un peu de patience avant de tirer les premiers enseignements de cette nouvelle aventure et de le mesurer par le nombre d’emplois, signifie le patron de CNM, mais les vents sont porteurs. Ils seront nombreux à le dire.

« Je suis venu pour la première fois à Marseille en 1987 – à l’époque je travaillais comme technicien junior à San Giorgio del Porto - et j’ai été tout de suite impressionné par la taille de la cale sèche : j’ai réalisé à ce moment-là l’important potentiel du port de Marseille », confie avec le recul Ferdinando Garrè, le président de San Giorgio del Porto. « Quand le port de Marseille a lancé un appel pour la gestion des deux premières cales sèches : nous l’avons vu comme une opportunité extraordinaire pour la croissance de nos activités et le bénéfice de nos clients. Notre intuition était juste ».

 

 

Engagement structurant de Costa Croisières

Ferdinando Garrè, qui n'était d'ailleurs pas le seul génois à Marseille ce 4 décembre (le maire de Gênes et le directeur général de son port ont fait le déplacement, ce qui en dit long) en vaut pour preuve l’intérêt manifesté par Costa Croisières.

En 2016, l’armateur italien de navires de croisières, filiale du groupe américain Carnival, a acquis 33,3 % du capital de CNM, justifiant son investissement par la volonté de faire de Marseille « son grand pôle de réparation et d’entretien en Méditerranée ».

« Marseille est pour nous un des rares points stratégiques de la Méditerranée, confirme Michael Thamm, PDG du groupe Costa et de Carnival Asie. Cette ouverture de la plus grande cale sèche est très importante pour nous ».

Marseille est en effet un port stratégique pour les opérations commerciales dans l’ouest de la Méditerranée du numéro un du secteur. Costa, qui cogère le terminal de croisières de la place marseillaise avec l'italo-suisse MSC Cruises, en a fait depuis longtemps un port d’escale, gageant sur la place géostratégique de la plateforme portuaire en Méditerranée, laquelle est un des principaux marchés-sources de clients pour la croisière. Depuis 1996, 1 445 escales y ont ainsi été effectuées, soit plus de 4 millions de passagers en transit.

C’est ainsi que dans la foulée de son entrée au capital, le groupe italien a amené les premiers « business », avec le Costa Magica, notamment pour y être équipé d'un groupe électrogène de secours. Depuis, d’autres unités ont rejoint la cale sèche. Au total, indique Costa Croisières, 7 des navires seront concernés par des travaux de maintenance pour un investissement de 30 M€ sur 6 mois.

 

L'équivalent du « pit stop » des Formule 1

La progression remarquée de l'activité de croisière dans le port phocéen (premier en France pour les croisières et parmi les 15 premiers mondiaux avec plus d’1,5 million de passagers), n’est pas pour rien dans l’intérêt des plus grands du secteur pour la forme 10.

« Pour les bateaux que nous allons recevoir et notamment les paquebots, la forme 10 sera vraiment l'équivalent du "pit stop" des Formule 1, c'est-à-dire l'arrêt au stand le plus court possible pour leur permettre de repartir de plus belle », explique Jacques Hardelay.

« Cet outil nous apportera évidemment de l’attractivité supplémentaire car il permet aux armateurs de programmer des arrêts techniques très proches des endroits où ils opèrent leurs opérations commerciales. Dans cette immédiate proximité, nous avons un avantage concurrentiel qui n’a pas d’égal tout autour de la Méditerranée », ajoute Christine Cabau-Woehrel, la présidente du directoire du Grand port maritime de Marseille (GPMM), qui aura consenti avec les collectivités locales un peu moins de 32 M€*** à la rénovation de la forme 10, dont 13,5 millions pour construire un nouveau bateau-porte, et plus globalement 35 M€ pour adapter les infrastructures des bassins de Marseille à l’augmentation de la taille des navires (notamment l'élargissement de la passe Nord).

Dans cette « immédiate proximité », l'administration portuaire voit en effet dans son terminal croisière, qui débarque et embarque des passagers, un atout pour inciter les armateurs à réaliser localement le refit, s’épargnant ainsi de devoir naviguer à vide pour rejoindre un chantier.

 

 

Voir plus loin

Mais la DG du port veut voir plus loin, notamment l’orientation vers des travaux de plus grande technicité. « Les armateurs ont des ambitions majeures pour leurs navires avec les technologies les plus innovantes pour travailler à leur impact environnemental. Avec cette cale, nous allons les aider à réaliser ce qu’ils ont l’ambition de faire ».

De ce point de vue, l’arrêt technique du MSC Orchestra (294 m, 2 550 passagers) qui a inauguré fin octobre la « remise en forme », est intéressant. Il s’agissait d’équiper le premier des sisterships Musica de scrubbers (un système de lavage des fumées afin de réduire les émissions d'oxydes de soufre, issues de la combustion du fioul). Une opération qui aurait mobilisé 300 emplois sur 20 jours.

Le gigantisme qui a gagné le monde de la mer donne aussi de l’assurance à ceux qui croient dans le renouveau de la réparation navale dans les bassins historiques du port phocéen.

Car, outre le marché des paquebots, dont certains escalent régulièrement à Marseille (174 navires de plus de 300 m cette année), les partenaires génois du port visent aussi les porte-conteneurs, navires offshore et hors gabarit, vraquiers, méthaniers et les super pétroliers de plus de 330 m. Des navires techniquement plus complexes, aux arrêts techniques plus longs, et donc à plus forte valeur ajoutée (mieux rémunérés), mais moins captifs (le segment est très concurrentiel).

CNM, qui dispose désormais d’un outil hors norme, possède par ailleurs les certifications nécessaires lui permettant d’opérer sur ces types de navires, notamment les méthaniers, sur lesquels les Chantiers sont habilités à effectuer « des opérations délicates d'étanchéité ou de cryogénie ».

 

 

Bataille navale

Dans cette bataille de bassins en Méditerranée, entre les chantiers « moins-disant » (Croatie, Turquie, et Roumanie, spécialisés dans les navires de charge ou de commerce) et les grands spécialistes à compétences égales voire supérieures (Espagne, Italie), Marseille doit donc trouver ses arguments et son positionnement, au-delà du seul argument d’un outil aux formes avantageuses.

« Avec les formes 8 et 9 et 10, on peut offrir à nos clients sur un même périmètre un service portuaire complet de réparation navale industrielle, depuis les activités commerciales jusqu’au rétrofit », a commencé à répondre Christine Cabau-Woerhel.

En attendant, ces deux derniers mois, les trois formes ont accueilli pas moins de 7 navires de croisières. La seconde page de l’histoire de la réparation navale à Marseille désormais ouverte, il reste à écrire la suite. Un contrepoint ensoleillé à une mémoire qui ne fut pas toujours à la hauteur des espérances placées.

 

Adeline Descamps

 

* Forme 10 : 465 m de long et 85 m de large; Forme 8 : 320 m de long et 50 m de large; Forme 9 : 250 m de long et 37 m de large

**Dans sa rénovation, la forme 10 a connu quelques avaries (une fissure dans le béton du nouveau bateau-porte, équipement de 9 100 tonnes, long de 87 m pour une largeur de 15 m en 2015, et l'inondation de la salle des pompes à quelques semaines du terme) repoussant la livraison de l'ouvrage annoncée pour septembre 2015. Soit une livraison avec un an et demi de retard.

** 31,1 M€, dont 13,35 M€ pour le seul bateau-porte et 28,1 M€ de fonds publics (l’apport privé relève de Chantier naval de Marseille) entre l'État (10,3 M€), le Conseil régional Paca (2,1 M€), le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône (1,6 M€) et le Grand port maritime de Marseille (fonds propres de 8,1 M€ et un prêt Infrastructures de transports durables de 5,9 M€ contracté auprès de la Caisse des dépôts)

 

 

 

 

 Un port durable ...

 

L’environnement a occupé le devant de la scène à l’occasion de l’inauguration de la Forme 10. L'activité croisières a, ces derniers mois, généré quelques tensions quant à ses impacts et nuisances en termes de pollution de l’air.

Christine Cabau-Woehrel a profité de son temps de parole pour rappeler que « le port travaille avec les armateurs à développer les technologies les plus innovantes de façon à assurer aux riverains des villes portuaires un environnement durable » (cf. Le port de Marseille lève l'ancre sur ses initiatives « vertes »). Le GPMM a ainsi annoncé avoir initié une prime pour les armateurs les plus vertueux, ceux qui s’attellent à réduire leur impact pour la qualité de l’air à Marseille

Le groupe Costa est le premier à signer cette charte qui récompense quatre de ses navires « dont les performances environnementales en escales sont déjà efficaces. C’est un signe très encourageant pour l’avenir et il sera renforcé en 2019 avec l’arrivée des navires Costa à propulsion au GNL à Marseille », a salué la direction générale du port phocéen.

Costa a en effet entrepris la mise en place du protocole ESI - Index Environnemental des Navires - sur les navires Costa Diadema, AIDASol, AIDAPrima et AIDAPerla (à partir de janvier 2018, certifié ESI dès le 1er avril 2018).

Cette démarche créée en 2009 par les ports de Amsterdam, Anvers, Brème/Bremerhaven, Hambourg Rotterdam, HAROPA - Le Havre et l’International Association of Ports and Harbors (IAPH), vise à encourager les armateurs à réduire les émissions atmosphériques des navires et les inciter à aller volontairement au-delà des seules exigences réglementaires dans le but d’améliorer la qualité de l’air et l’environnement. L'initiative fédérerait aujourd’hui une quarantaine de ports et concernerait plus de 4 000 navires de commerce à travers le monde (sur une flotte mondiale de 50 000 navires)

« Cette première signature doit être un modèle du genre pour les autres armateurs basés à Marseille. Notre Grand port Maritime doit devenir un exemple en Méditerranée : moderne, dynamique et respectueux de l’environnement, a appuyé dans son allocution le président de Région, Renaud Muselier. Le 8 décembre prochain, j’annoncerai mon plan climat pour notre région. D’importantes actions seront tournées vers le GPMM pour en faire un modèle de port propre : Je veux que l’on construise un port où les croisiéristes seront plus nombreux avec un impact sur notre environnement plus faible ».

 

 

 

Chronologie d'une forme

 

Forme 10 en travaux

 

Juin 1972 : Début des travaux de génie civil pour la construction de la future forme 10

1976 : Mise en service de la forme

Été 1981 : Le supertanker Batillus (414 m, 663 000 tonnes) est mis au sec dans la forme 10

2000 : Dernier bateau reçu en réparation à sec

2011 : Lancement du programme de rénovation de la forme et appel à candidature pour en confier la gestion à un opérateur privé

Janvier 2012 : Sélection du groupement d'opérateurs italiens Mariotti et San Giorgio del Porto

Janvier 2014 : Lancement des travaux de construction du nouveau bateau-porte

Mi 2015 : Apparition d'une profonde fissure dans le béton du nouveau bateau-porte. Livraison de la forme reportée.

Août 2016 : Inondation accidentelle de la salle des pompes

Octobre 2017 : Réception d'un premier bateau en réparation dans la forme rénovée

 

 

 

 

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